Développement de l’intellectualisme universitaire et développement du sous développement au Cameroun

Publié le par Pat Rifoe


La question de la place de l'intellectuel dans la société n'est pas nouvelle. Max Weber en son temps soulignait le caractère paradoxal de la vocation du chercheur dans la société .l’intellectuel tiraillé entre l'économie d’un engagement pragmatique et la nécessaire distanciation réflexivequi doit être la sienne.Au-delà des conjectures, le savant allemand consacrait formellement quelles que soient les modalités d’action, l’implication indéniable de l’intellectuel dans la production de sa société. Ce questionnement fait écho à celui de Pareto sur le rôle des élites dans la conduite de la cité.Plus proche de nous,Michel Callon dans:"Ni intellectuel engagé,ni intellectuel dégagé:la double stratégie de l'attachement et du détachement"décentre la question en montrant qu'il s'agit moins d'engagement que de pratiques concrètes au travers desquelles le social est rendu intelligible.

Après 40 années d'indépendance, l'histoire de la sphère intellectuel mérite d'être questionnée, notamment à l'aune de sa contribution non pas au développement, mais à la bataille plus concrète contre le sous-développement.Car     aujourd’hui plus qu’hier, le développement du sous développement caractérisant la récente histoire du Cameroun ne manque pas de ramener sur les arènes intellectuelles la lancinante question de la contribution des élites et plus particulièrement des intellectuels à l’amélioration de la cité.

La thèse par nous défendue consacre la posture suivant laquelle la contribution des intellectuels camerounais reste à ce jour non décisive dans la lutte contre le sous développement. Il semblerait même que l’on observe comme une concomitance entre l’accroissement de cette classe(accroissement numérique s'entend), son emprise dans les sphères décisionnelles et les mésaventures d’un pays s’engonçant dans le sous développement. Les mauvaises langues iront jusqu’à dire que les instituteurs de la première génération, tout ignorant qu’ils étaient de la différence entre géométrie euclidienne et non euclidienne, physique newtonienne et non newtonienne, ont mieux piloté le Cameroun que la classe d’intellectuels diplômés, depuis des décennies aux affaires.

Bien sur vous on m'objectera que l’affaire  Bakassi qui est un succès d’école, injustement attribué à Paul Biya est le fait d’intellectuels qui ont mis leurs savoirs en communs pour défendre l’intégrité territoriale du pays avec la fortune que l’on connaît. Mais heureusement pour ma thèse, des cas comme Bakassi ne sont pas légions.  Nous sommes là face à des exceptions que leur rareté pose comme n’infirmant en rien la règle. Ces exceptions levées, un petit détour historique servira de contextualisation.

L’après indépendance a consacré le développement intellectuel des états africains. Après la formation d’une élite à l’étranger, ces pays africains dans les limites de leurs capacités ont produit de nombreux diplômés. Ces diplômés prenant le relais des instituteurs libérateurs de l’indépendance, gèrent depuis les affaires dans de nombreux pays africains à l’exemple du Cameroun .il n’est donc pas surprenant de trouver dans l’entourage du chef de l’état, à la tête de départements ministériels ou des sociétés d’état un docteur ou professeur d’université, très souvent issu de prestigieuses écoles.

On peut affirmer sans risque de se tromper que le Cameroun a connu un développement intellectuel sans précédent si l’on se réfère au nombre croissant de diplômés et à leur présence dans toute la socio économie. Cette tendance va grandissant avec le temps.

Le développement intellectuel de la société camerounaise a coïncidé avec le développement du sous-développement. La société, considérablement et continuellement appauvrie a exacerbé les tendances anomiques, corruption, clientélisme, trafic d’influence etc.

L’engoncement dans le sous développement ne s’épuisant pas dans les conjectures conjoncturelles mondiales, la réflexion s’est orientée sur les facteurs endogènes de cet effondrement .Plusieurs hypothèses furent évoquées avec notamment des thèses stigmatisant le refus de développement et la nécessité d’un plan d’ajustement culturel.L’inadéquation des solutions de développement proposées aux besoins réels exprimés fut également incriminée.

Dans le sillage de cette approche, le rôle des élites et notamment des intellectuels apparaît comme majeur. Car, comment comprendre que le développement intellectuel de l’Afrique soit inversement proportionnel à la croissance du sous-développement, sans interroger l’action des élites dans la déconstruction actuelle de la société.

Toute chose égale par ailleurs, d’Achille Mbembe a interrogé cette docte gente et,au risque de tomber sous le coup du paradoxe d’Epiménide le crétois,il dénonce l’attitude des intellectuels africains qu’il considère comme la caisse de résonance de leurs maîtres occidentaux. Incapables de produire des solutions aux problèmes que posent leurs société, ils reproduisent dans de maladroites contextualisations, des solutions à des problématiques exogènes. Cela parait d’ailleurs si naturel d’en référer à la science des blancs qu’un haut commis de la république avait cru bon devoir stigmatiser la témérité d’Emmanuel Kamdem à produire des connaissances situées. "Pourquoi s’embarrasser de recherche alors même que vous n’avez pas épuisé la connaissance produite par les blancs et mise « gracieusement » à votre disposition",lui faisait-il remarquer.

 

Elève un jour,élève toujours!

Qui a fréquenté les amphis se souvient de ces enseignants qui s’hypostasient à la seule évocation du nom de leur maître. Car élève un jour, élève toujours. Tel semble être le credo de ces individus à qui il ne viendrait pas même l’idée d’approcher par le travail la classe à laquelle leur maître appartient.

Il est de notoriété que le milieu intellectuel est conservatiste et Kuhn a bien montré comment les révolutions scientifiques se produisent par changement du paradigme dominant. Mais, ce conservatisme tient au fait comme le souligne Bachelard que l’esprit scientifique tend à s’accrocher à ce qui a fait son heuristique première, qui par la suite se transforme en obstacle à toute évolution de la connaissance. Ainsi, si l’on s’accroche aux certitudes que confère un système explicatif, c’est bien parce que ce système a généré des connaissances. Le paradoxe serait donc de  s'accrocher au néant, là où la connaissance n’a pas encore été produite.

L’élite intellectuelle camerounaise se caractérise évidemment par ce désir de permanence qui construit les représentations fonctionnalistes de la réalité. Pour préciser ici le Sarkozy de Dakar; le drame du Cameroun c’est que ses intellectuels ne soient pas encore entrés dans l’histoire. Réfractaires à l’innovation, tellement ils sont que l’on peut s’interroger sur une future entrée dans cette histoire qu’ils ont choisi de fréquenter en pointillé. Que les tenants de paradigme dominants soient conservateurs, cela peut sembler dans l’ordre des choses. Mais il faut bien que jaillisse la lumière. A cet égard, Edgar Morin indique que les conditions de changements dans le paradigme dominants sont rendues possible par l’existence de lieux dans lesquels des incubateurs préparent dans des bouillons culturels les germes du changement. Les universités sont ces lieux par excellence. Peut-on cependant le croire des universités camerounaises.

 

Le cimetière marin

Il est aujourd’hui difficile de penser les universités camerounaises comme des lieux possibles de génération des changements scientifiques et sociaux.

La fin des débats, l’atrophie de la discussion critique font aujourd’hui de ces lieux des cimetières pour les « esprits ».Le fonctionnalisme le plus absolu y règne .Sous prétexte du respect des normes, il est proscrit de susciter des débats sur la connaissance et pire encore sur la manière dont la cité est gérée. A cela , il faut ajouter l’elitisation pouvoiriste des universitaires en mal de strapontins, tout pressés qu’ils sont de quitter les amphithéâtres,ils évitent soigneusement de produire des discours qui pourraient leur barrer l’accession à un ministère. Suprême accomplissement pour les intellectuels camerounais !

De fait les campus sont des ténèbres projetant leurs ombres obscures sur les téméraires qui oseraient s’y aventurer. La lumière,disent les dialecticiens, jaillit de la contradiction. Ne la chercher pas dans ces lieux !

Plus concrètement, il faut, à la lumière de l’histoire récente interroger la contribution des élites intellectuelles aux spectaculaires progrès du Cameroun sur le chemin de la décroissance. Car qu’on se le dise, le chemin emprunté par cette histoire est des plus pentu. Sans regarder aux années d’après indépendances comme à un age d’or regrettable parce qu’étant le meilleur des Camerouns possible,il faut bien convenir que la prolifération des diplômés ,formés à bonne école et souvent même,nous dit-on majors de leur promotion coïncidait avec l’incubation dans la société camerounaise des germes du népotisme et autre clientélisme .Vais-je en inférer que les intellectuels sont la cause de cette déliquescence de la société qui culmine dans la corruption septicémique aujourd’hui ?

 

Savoir et non  Pouvoir

Entre L'archéologie du savoir et Surveiller et punir, Michel Foucaul montre comment la constitution de la société est consubstantielle d'une articulation entre le Pouvoir comme capacité d'agir sur le réel et le savoir discours sur le réel et les mécanismes  ou dispositifs d'énaction.On peut se demander si le savoir qui les "habite" a permis à notre docte classe de "pouvoir" au sens de renforcer la production d'u n ordre social.

Les historiens pouraient  montrer si besoin était que le Cameroun fut perdu le jour ou des docteurs et autres professeurs agrégés de je ne sais quoi furent portés à la tête des ministères et sociétés d’Etat.

Le pays attendait alors que cette gente formée à bonne école lui permit de mener avec succès le combat du sous développement. Mais l’histoire nous apprend que le réveil fut brutal... Car la gestion épicière de ces individus a permis à des structures en situation de monopole de faire faillite! Et que nous ont-ils proposé lorsque la crise fut venue... Pas la moindre solution ! L’avaient-ils du moins anticipé ? Difficile d’y croire!

Lorsque à la suite d’un acte de nomination vous parcourez le Cameroun Tribune présentant les promus, vous ne pouvez qu’être impressionnés par la longueur des curricula et le prestige des parchemins. La compétence comme le bon Dieu leur serait donnée en confession. Erreur !!! Car le réel vient rapidement démentir ces préjugés. C’est à croire que si jamais ils furent compétents, une nomination suffit à les abêtir. Le simplisme donnerait à penser que compétents, jamais ils ne furent suivant l’adage latin selon lequel « le renard change de poil, non pas de caractère. De deux choses l’une, soit ils étaient dépourvus des connaissances dont ils étaient crédités, soit encore ils faisaient un mauvais usages des trésors que les "maîtres blancs" leurs avaient confié. Sans opter pour l’une ou l’autre explication, considérons que la contribution des intellectuels depuis les indépendances s’est avérée marginale dans la problématique de la sortie du sous développement. Ces derniers restent des colonisés de la connaissance. Quel paradoxe !

Le Cameroun a mal à cette élite qui vraisemblablement s’est instruit sans connaître l’objectif ultime de celle-ci. « Le but de l’instruction c’est la fin de l’instruction, c’est-à-dire l’invention », comme nous le rappelle Michel Serres dans le tiers instruit.

Vivement une nouvelle classe d’intellectuels, décolonisés selon les termes de Louis Roger Kemayou, et capables de réinventer le réel.

 

 

 

 

 

Publié dans Penser le Cameroun

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K
<br /> j'aime le cote sarcastique de l'article mais je vais mieux commenter une fois la lecture terminee et felicitations pour ton blog<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> merci mon frère,on essaye de contribuer par la pensée à l´édification d´une nation plus conforme aux aspirations des camerounais.<br /> <br /> <br /> <br />
Y
<br /> développement de l'intellectualisme universitaire et (=) sous développement de l'intellect non indigent<br /> pour reprendre les termes du sieur L.R.K. : "savants du savoir des autres"<br /> là réside la perturbation centrale qui empêche nombreux d'"intellos" de s'émanciper,<br /> bien dit!<br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Foucault par de savoirs assujettis.Et je pense que cette question est liée à l'avaènement de l'intellectuel en tant que sujet au sens foucaldien du terme.Ce que le docteur Kemayou considère comme<br /> le savoir savant des autres n'est rien d'autres que l'inscription dans leurs corps d'un assujetissement à ce savoir par le pouvoir comme incorporation même de ce savoir.<br /> <br /> <br /> Je pense que je vais prolonger cette analyse par une lecture foucaldienne de l'émergence de l'intellectuel "tropicalisé" comme sujet d'un savoir,pris dans les mailles d'un pouvoir produit par ce<br /> savoir assujetissant.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> afin tu t'es decidé à le créer ce blog! congrats!<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> il faut bien commencer quelque part.Bon,j'attends de faire une formation particulière avant de l'enrichir en contenu<br /> <br /> <br /> <br />