Au secours la censure revient ? Non, elle est déjà là !

Publié le par Pat Rifoe

Dans une récente chronique, la rédaction de La Nouvelle Expression s’interrogeait sur le retour de la censure au Cameroun. Le prétexte à cette affirmation était alors l’interdiction implicite de diffusion du film Le président du réalisateur Jean Pierre Bekolo. Quelques jours plus tard, un communiqué du conseil national de la communication prononçait différentes sanctions à l’endroit de différents médias. Un avertissement est attribué à des chaines de télévision pour la diffusion de publicités de structures et pratiques sanitaires. Une interdiction définitive des émissions « Canal détective et IPP News, qui ont notamment montré en date du 21 et du 27 mars 2013 de larges extraits des corps mutilés ou en décomposition, des images violentes et indécentes ». La suspension temporaire de leurs présentateurs. L’interdiction définitive de Déballage, la Voix des sans Voix, Surface de vérité. La suspension temporaire de leurs présentateurs. Mais également un blâme à la chaîne Canal 2 pour dit le communiqué « le caractère violent et indécent de certains de ses programmes ». Au regard de cette décision, on peut effectivement s’interroger sur ce retour de la censure qui est le marqueur d’un recul des libertés publiques au Cameroun. S’il y a retour d’une censure, ce retour est rampant et s’inscrit dans un mouvement de longue durée. L’observation de la jouissance des libertés publiques au Cameroun se traduit depuis quelques années par une perte progressive des acquis des années 1990. 2005-2013/Adieu mur de Berlin, bonjour la chape de plomb Depuis 2005, on observe que les camerounais peinent à jouir des libertés consacrées par la constitution. Il suffit de regarder aux interdictions administratives sanctionnant pour divers motifs les réunions, conférences de presse et manifestation. Il suffit d’interroger ceux qui ont tenté de manifester pour revendiquer leur épargne comprise à Cofinest pour savoir que la liberté de manifester, même pacifiquement, légitimement est régulièrement sacrifiée à l’autel du maintien de l’ordre public et de la paix sociale. Les autorisations préalables et autres déclarations préalables sont aujourd’hui un instrument utilisé par l’administration pour interdire toute manifestation ne visant pas ouvertement à remercier le chef de l’Etat. Les revendications, qu’elles soient sociale, économique ou politique sont systématiquement interdites. Nous sommes donc passé en 1990 d’un situation des libertés publiques contemporaines au mur de Berlin, à une situation tenant davantage de la chape de plomb. Les différents modes d’expression (mobilisations, médiatisation) font l’objet d’un filtre visant à ne laisser voir aucune expression menaçant « l’ordre public ou la paix sociale ». Les médias ont également fait les frais de cet état de chose. Pouvoir politique et media : la stratégie du licou Le rapport aux médias du pouvoir politique tient d’une stratégie du licou. Il s’agit de mettre en laisse les médias en fonction de leur taux de pénétration et du caractère plus ou moins critique de la situation. Si le gouvernement est particulièrement attentif aux contenus de la radio et de la télévision, il est relativement bienveillant sur les productions de la presse. La décision du CNC en est une illustration. Aucun média presse n’y est sanctionné ou rappeler à l’ordre. Peut-on croire que les dérives sanctionnées par elles ne s’observent pas aussi dans la presse écrite ? En réalité, si l’on regarde aux émeutes de février 2008, il nous revient que le gouvernement avait pris le soin de verrouiller l’information diffusée par les chaînes de télévision. Equinoxe TV en fit eut pour ses frais en écopant d’une suspension. A contrario, le contenu de la presse bien que décriée est l’objet d’une faible prise en charge. La presse ayant une diffusion limitée aux zones urbaines et ayant connu une baisse progressive de ses tirages, elles ne touche qu’une partie restreinte de la population. Dès lors, elle bénéficie d’un contrôle lâche du pouvoir politique. Dans le même temps, la taux de pénétration autant géographique que socioprofessionnel de la radio et de la télévision conduit le gouvernement à une vigilance accrue sur ses contenus. La possibilité d’exprimer librement ses opinions et de traiter de manière indépendante de l’information est aussi soumise à la conjoncture sociopolitique. Les dernières élections présidentielles ont été l’occasion pour les médias d’apprendre que le principe de la triangulation des sources était désormais interdit au Cameroun. Aucune estimation ne doit être diffusée sur un média si elle n’émane pas du MINATD ou d’ELECAM. Dans le communiqué produit par le CNC, une expression affleure cette volonté de contrôle de l’information en période électorale. L’organe annonce vouloir veiller à assurer « régulation des contenus des organes d'information ». Autrement dit, l’agenda de l’information liée aux sénatoriales sera scrupuleusement prédéfini par le CNC et les différentes instances gouvernementales. Dans ce contexte, la nomination des journalistes tels ; Suzanne Kala Lobe et Tagne Jean Bruno laissait à penser au lendemain des états généraux de la communication que le gouvernement donnait des gages sur le fonctionnement du CNC. Le récent communiqué et les décisions prises suscitent, par la nature des sanctions, leur caractère parfois incohérent, des interrogations sur la conception que les membres de cette institution ont de son rôle, et par les règles de fonctionnement produisant la décision. Des décisions mal fondées et incohérentes A la lumière des décisions publiées, on peut s’interroger sur leur cohérence, et leur conformité avec les règles de droit applicables en matière de communication audiovisuelle. En choisissant d’interdire définitivement des émissions en regard de l’utilisation récurrente d’images dites violentes ou de corps mutilées, le CNC ose une sortie pour le moins hasardeuse. En effet, le droit à l’image n’est pas à proprement parler garantie par des textes de lois spécifiques au Cameroun. Et un conflit existe entre le droit à l’image qui est un droit privé et le droit à l’information qui est une exigence collective. Cependant, il appartient en règle générale aux ayant droits d’attraire les personnes se rendant coupables de la violation de ce droit devant les tribunaux. Le CNC se substituerait-il aux personnes privées ou alors faut-il considérer cette suspension comme relevant. L’argutie juridique sur laquelle se fonde cette suspension est le décret n° 92/313/PM du 24 septembre 1992 rendant exécutoire le code de déontologie journalistique. Peut-on fonder un décret sur un code de déontologie assis sur un décret ? Ce d’autant que ledit code a fait l’objet d’une remise en cause en 1996 par le texte adopté par l'Union des journalistes du Cameroun (UJC) le 19 octobre 1996 à Douala, la capitale économique et définissant les droits et devoirs régissant l'exercice de la profession. D’autre part, on s’étonne que l’infraction à un code de déontologie entraine pour les émissions visées ainsi que leurs présentateurs une interdiction définitive et une suspension, alors que les chaînes de télévision productrice écopent simplement d’un blâme. Si l’interdiction repose uniquement sur la nature des images, alors Canal2, spécialisée dans la monstration des corps mutilés, brûlés, accidentés aurait du avoir in traitement égal. Un différentiel de traitement pour une infraction identique pose en effet question au plan de la cohérence. D’autre par la suspension d’antenne des présentateurs pose question. Comment est-il possible de sanctionner les présentateurs alors que l’article 74 de la loi sur la communication sociale dispose que le directeur de publication est coresponsable de toute infraction réalisée dans son organe de presse. Une conception répressive et judiciaire de la régulation Ces incohérences conduisent interroger le fonctionnement du CNC. Comment fonctionne cette institution ? Quelles sont les règles de délibération y ayant cours ? La transparence ne doit pas simplement être une vue de l’esprit, une prétention. Si un institution prétend réguler aujourd’hui le monde des médias, elle se doit de rendre publique son mode de fonctionnement sous peine de délégitimer son action. Les récentes décisions ne plaident pas en faveur de cette institution renvoyant à l’opinion public l’image du cheval de Troie de la censure au Cameroun.

Publié dans Penser le Cameroun

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