Lettre de non soutien à une suspendue

Publié le par Pat Rifoe

A Soflane Kengne

 

Madame, les médias traditionnels et sociaux bruissent de la rumeur non démentie de votre suspension. Le propriétaire de la chaîne de télévision dans laquelle vous officiez aurait pris cette décision suite à un commentaire sur le récent conseil des ministres présidé par Paul Biya. Vous vous seriez émue de la durée de ce conseil, émotion qui vous a sans doute échappée.

Si je vous fais cette lettre amicale, ce n’est point pour vous apporter mon soutien inconditionnel. Après qu’il vous ait réchauffé le cœur, le réel ne manquerait pas de vous rattraper. Je ne condamnerai pas non plus votre acte. D’aucun ont pu y voir une faute.

Vous avez chère inconnue eu l’impudence, que dis-je, l’outrecuidance de vous émouvoir, pire d’exprimer cette émotion vis-à-vis d’un acte posé par le chef de l’état! Apprenez, ma chère amie que les seules émotions dignes d’accéder à l’espace public, relativement aux actes du chef de l’état sont ; des louanges, des éloges, des vénérations, et des adorations. Quand on n’est pas « sa créature », il faut dissimuler ses jugements.

L’émotion partagée à votre public était en effet un jugement. Vous vous êtes permise d’apprécier un acte du chef. Cela est un crime de lèse-majesté. Vous en payez aujourd’hui le prix. Il ne peut en être autrement. Estimez-vous heureuse d’avoir évité l’autodafé. Mais, plus sérieusement, qui vous a habilité à juger le premier camerounais, le premier sportif, le premier journaliste, le premier travailleur et sans aucun conteste, « le meilleur d’entre-nous » ? Vous qui n’êtes même pas la première des journaliste (c’est encore lui), vous jugeriez le camerounais le plus intelligent ? Apprenez, ce sera la seconde leçon de votre suspension, que ce que fait le meilleur est bien fait. On ne peut faire mieux. Sa sagacité, son intelligence, sa clairvoyance et son ardeur au travail disqualifient toute mise en perspective de ses actions.

Ainsi, vous avez osé toucher au père de la nation, celui qui nous a apporté la paix, la prospérité, la démocratie, la liberté. Celui qui a vaincu la corruption, la pauvreté et sous-développement. Vous, avez-vous jamais apporté quoique ce soit à l’édification de cette nation ? Vous qui vous tournez les pousses, vous vous permettez  de critiquer le seul travailleur que connait le Cameroun ! Votre commentaire est un crime ! Vous avez touché à la vache sacrée ! Ce blasphème doit être puni. Vous devez faire acte de contrition. Prenez donc votre plus belle plume et faites une lettre d’excuse au grand timonier. Dites lui que vous en avez perdu le sommeil (pas d’être suspendue !), que votre conscience vous condamne à chaque pas. Que vous mourrez s’il ne vous accorde pas son pardon. Rassurez-vous, il accorde aussi la rémission des péchés. N’est-ce pas un dieu !

Votre suspension, voyez là comme pour la catholique la pénitence. Elle vous permet d’expier votre faute. A défaut du paradis, vous êtes sur la route du purgatoire. Vivez là avec joie, en sachant qu’il s’agit là d’ « un petit mal, pour un si grand bien ». Vous avez là, votre chemin de croix. Soyez comme le Christ courageuse. Au bout, du bout du chemin, vous naitrez de nouveau ! Quelle joie, quel bonheur ce sera alors d’être « sa créature » ! Vous pourrez enfin, librement, devant vos auditeurs laisser transpirer vos émotions. Vos louanges seront perçues en haut lieu comme un parfum de bonne odeur, une offrande qui vous vaudra peut être, sait-on jamais une bénédiction.  

Chère madame, n’en voulez pas à votre patron qui vous a suspendue. Le droit du travail fait de nos patrons des personnes toutes puissantes. Ils ont droit de vie et de mort sur leurs employés. Comme l’aurait dit votre boss, « un patron a le droit de suspendre un employé, s’il juge ce dernier coupable d’une faute ». Qui sera votre recours si demain, il décide de vous licencier ? Vous êtes suspendue. On aimerait savoir si vous avez été convoquée et entendue ? Si un blâme vous a été adressé ? La faute est-elle établie ? N’allez surtout pas importuner le ministre du travail avec ces vétilles. Quand on touche à la vache sacrée, on est déchu de ses droits. Les indiens en savent quelque chose.

Mais, votre patron avait-il le choix ? Lorsqu’il s’est fait soufflé dans le bronche pouvait-il raisonnablement faire autre chose que de montrer patte blanche ? Sachez que si vous êtes à la merci de son arbitraire, lui aussi est à la merci de celui du gouvernement. Le pauvre bonhomme est tenu par les bourses. En effet, si son média fonctionne sous le régime de la tolérance administrative, il vaut mieux contenter celui qui octroie cette grâce. La grâce qui lui est accordée peut en effet être retirée à tout moment sans qu’un justificatif soit nécessaire. S’il dispose d’une licence, le retrait de celle-ci reste possible sans aucun recours contre cette décision. Tous les patrons de presse connaissent l’histoire de la radio du défunt Pius Njawé. Votre patron ne souhaite pas non plus s’aliéner les nombreux annonceurs publics et parapublics qui abondent les caisses de son entreprise. Le chef d’entreprise en lui est avant tout pragmatique.

Enfin, n’oubliez pas, chère madame que vous êtes à la télé. Les blasphèmes par presse interposés sont tolérées. L’aura entourant la télévision ne permet pas qu’il soit admis que vous, journalistes de télévision preniez des libertés que peuvent s’accorder vos collègues de presse écrite. Normal, leur audience est captive, la votre est large, il vaut mieux éviter de désacraliser le veau d’or sur cette scène.

Je vais m’arrêter là chère madame, je ne vous souhaite pas bon courage et j’espère que ma lettre ne vous parviendra pas.

Camerouniaisement votre !

Publié dans Penser le Cameroun

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