Le patriotisme comme territoire de communication : entre totem et désengagement

Publié le par Pat Rifoe

Le recours aux valeurs patriotiques s’est récemment développé dans la communication des marques. CAMAIR co, Air France, Source du Pays et l’huile Mayor pour la plus ancienne, revendiquent sinon affirment une camerounité  se montrant au travers des dimensions plastiques, iconiques et linguistiques de leurs campagnes publicitaires. Cet air du temps dont on peut se demander s’il se traduira en tendance durable ou éphémère pose le problème du recours aux valeurs patriotiques dans la communication des marques. L’invocation du patriotisme dans l’avantage produit ou le bénéfice consommateur est-elle engageante ? Le consommateur camerounais y trouve-t-il des éléments impliquant et engageants moteurs de son  agir ?

L’analyse des campagnes CAMAIR co, Air France et Source du Pays accrédite la thèse suivant laquelle, les lieux patriotiques fonctionnent semblablement aux totems. A ce titre, ils engagent à minima les cibles . Il faut dès lors restituer l’utilisation des lieux patriotiques dans l’économie générale de l’implication du produit. Enfin, la mise en perspective des usages de lieux patriotiques rapportés aux pratiques d’achats trace une ligne de fuite oscillant entre distanciation et individualisation.

L’usage des valeurs patriotiques s’est affiché de différentes manières dans l’univers communicationnel des marques. Une tentative de catégorisation relève ainsi un usage littéral, un usage métonymique, un figuratif

On parle d’usage littéral lorsque le recours aux valeurs patriotiques utilise des lieux symbolisant dans l’imaginaire collectif le Cameroun. Les armoiries de la nation sont mises à contribution à l’instar de ce qui est fait dans la campagne « fier d’être camerounais » par Camair-co.

L’usage métonymique renvoie à l’utilisation d’éléments dont la présence circonscrit un lieu. L’utilisation du « Mont Cameroun » appartient à cette catégorie par le récit exploratoire de la nation. En effet, l’histoire nous apprend qu’un des premiers contact de la nation Cameroun avec les explorateurs fut la découverte du Mont-Cameroun par Hannon qui le baptisât char de Dieu.

Quant à l’approche par la figuration, elle diffère de l’usage littérale en ce qu’elle utilise les éléments d’identification présents qui   doivent être reconstruits par le lecteur. Ainsi de la campagne Mayor recourant aux couleurs du drapeau sans que la forme de celui-ci soit présente. On parle alors de camerounité comme Barthes parlât jadis d’italianité dans l’analyse restée célèbre des pâtes Panzani.

Le visuel de la campagne Air France échappe à cet exercice de catégorisation. En effet, il ne réfère pas directement aux valeurs patriotiques.

Un mot d’ordre, des fortunes diverses

Les différentes campagnes sus-évoquées ont connu des fortunes diverses.  Camair-co a eu d’excellents retours communicationnels, Supermont s’est bien installé dans le marché des eaux minérales et Mayor ne se comporte pas mal sur celui des huiles de cuisson. Le choix de la camerounité suffit-il à expliquer les heurs de ces marques sur leurs marchés respectifs ? Une analyse spécifique des enjeux de chaque campagne apportera des éclairages sur cette question.

CAMAIR co ; d’excellents retours communicationnels

Née sur les cendres de la défunte Camair, Camair-co vise essentiellement le transport des camerounais et de personnes dont le Cameroun fait partie des points de passage. Les prises de parole de la compagnie sont dès lors contraintes par le passif de la défunte compagnie. L’aura de cette dernière s’inscrit en filigrane dans l’histoire de Camair-co. La compagnie hérite de ce fait du passif de sa devancière tout en devant faire face à la concurrence de multinationales telles Air France, SN Brussels etc.

·         L’héritage du passif de la défunte Camair

Les camerounais ayant souvent emprunté les vols de la défunte Camair n’en ont pas gardé un souvenir impérissable. Le rapport de la compagnie au temps est marqué par une systématisation du retard  au point que celui-ci passe pour la norme. A cela, il faut ajouter une sorte de méprise du client par les personnels autant naviguant qu’au sol. Ces éléments ont entrainé une migration des clients de la Camair vers Air France et d’autres multinationales du transport aérien. Le gouvernement camerounais, à titre d’illustration, ayant signé un contrat avec Air France pour le transport  de son personnel. Ces migrants produits dans l’intervalle de la disparition de la Camair ont découvert la qualité du service. Davantage de ponctualité, une meilleure prise en compte du client par les personnels.

·         La qualité ; un avion de retard sur la concurrence

Avec le démarrage des activités de Camair-co, la compagnie pouvait-elle se permettre de se positionner sur la qualité du service ? En la matière, le poids de l’héritage marqué par l’intégration au sein de la nouvelle compagnie des personnels issu de la défunte compagnie ne plaidait pas en faveur de cette hypothèse. En effet, la qualité procède de la culture organisationnel, et il faut dire qu’en la matière, l’habitus des individus appartenant à la fonction publique au Cameroun est marqué par un déni de qualité. La sécurité de l’emploi est tel que pour ces personnels, le travail et sa conservation ne dérive pas de la qualité du service rendu au client ou à l’usager. Dès lors, Camair-co avait un avion de retard sur ses concurrents. Comment dans ce contexte, identifier un positionnement communicationnel susceptible à la fois de conforter les usagers de la compagnie, tout en indiquant les voies d’un retour vers  Camair-co pour les ex-clients de Camair ayant migré vers les multinationales ? Tel aurait-pu être formulée la question dont la réponse est le positionnement sur les valeurs patriotiques de camerounité qu’on peut lire à travers la campagne Camair-co.

 

·         Le patriotisme comme territoire de communication : un choix contraint

Le positionnement sur la fierté d’être camerounais peut être interprété  comme un choix naturel. Choix naturel au sens de choix par défaut, parce que contraint. En effet, si on s’accorde pour rappeler qu’un des éléments de validité du positionnement c’est sa crédibilité c'est-à-dire sa capacité à être reconnu comme pertinent par ceux à qui on s’adresse, Camair-co ne pouvait communiquer ni sur ses prix, encore moins sur la qualité de service. Il restait alors le recours à un lieu émotionnel pour lequel l’analyse fait l’économie des considérations rationnelles. En surfant sur la camerounité, on marquait la congruence entre l’identité de la marque et celle des clients. Camair-co se positionnait comme marque communautaire et assumait sa proximité…voire plus avec ses propects.

·         Des retours communicationnels positifs pour un engagement limité

La campagne dont nous ne pouvons mesuré les retours marketing a eu un échos certains auprès des camerounais. Le caractère communautaire invoqué ayant ceci de particulier qu’il parle à tout ceux dont le Cameroun est la patrie. Notons tout de même qu’elle a fait l’objet d’analyse critique par une équipe d’étudiant. C’était à l’occasion de l’édition 2012 de Thermopub, compétition organisée par le club marketing de l’université catholique de Yaoundé, qu’elle a été mollement commentée sur Couleurs de Pub, groupe Facebook réunissant les professionnels de la publicité au Cameroun.

 

·         Le choix d’une compagnie aérienne : une forte implication

 

Air France ; brouiller la lisibilité de la campagne CAMAIR co

L’ambition de la campagne Air France était tout autre. Répondre au positionnement communautaire de Camair-co en jouant de la proximité. La compagnie a simplement modifié le message luinguistique présent sur une campagne africaine afin d’en faire une réponse au positionnement de  Camair-co. Le visuel disponible sur le site de la compagnie comporte comme message texte : « Votre compagnie. Tous les jours. Tous les mois. Toute l’année. » Campagne jouant davantage sur la disponibilité que sur la proximité. Quant à la déclinaison camerounaise, la même visage d’une hôtesse souriant  est agrémenté du texte suivant : « Air France aux côtés des camerounais depuis 65 ans. »  En base-line il est mentionné l’engagement de la compagnie qui est « présente au Cameroun depuis plus de 3 décennies. Air France, nous dit-on, s’implique dans la vie locale en soutenant des actions humanitaires, environnementales, culturelles et économiques ». Une signature « Air France toujours plus près de vous » remplace sur la déclinaison camerounaise la mention Air France KLM.

Il ne s’agit pas ici d’une campagne revendiquant un positionnement patriotique. Air France ne le peut pas. Cependant, elle joue sur la proximité née de son compagnonnage avec le peuple camerounais. Qu’est-ce qui explique cette déclinaison ? On peut considérer qu’il s’agissait d’apporter une réponse à la campagne Camair-co en déniant à cette dernière le monopole d’éléments de proximité avec les camerounais, d’autre part, l’enjeu était de brouiller la lisibilité d’une campagne dont Air France redoutait les retombées sur sa propre fréquentation.  

·         Vous n’avez pas le monopole du patriotisme

Le premier enjeu consistait à revendiquer un positionnement proche de celui adopté par Camair-co.  Cette dernière ayant joué sur la fibre patriotique, l’invocation d’un long compagnonnage historique était susceptible de neutraliser les effets pathémiques  dont on ne peut jamais mesurer la portée.

·         Une logique parasitaire

Le second enjeu consistait à parasiter la lisibilité de la campagne lancée par Camair-co. En jouant sur la proximité historique, on brouille l’identification des camerounais à la camerounité proposée par Camair-co en proposant un lieu proche, mais autre. Celui d’une histoire commune.

La campagne Air France ne repose donc pas sur les mêmes éléments d’analyses ou d’enjeux que celle de Camair-co,  bien qu’on soit sur le secteur du transport aérien.

 

La force du Mont Cameroun ; nostalgie et qualité douteuse de l’eau minérale Source Tangui

 Pour ce qui concerne Supermont, on a une utilisation métonymique de la camerounité. Peut-on pour autant en inférer d’un lien entre l’usage de ce lieu communicationnel et la recolonisation du marché par la marque désormais produite par Source du Pays ? Une analyse du contexte de remise sur le marché de la marque s’impose. Pour ce faire, deux éléments sont convoqués ; les effets de nostalgie portés à l’actif de la relation passée entre la marque et certains consommateurs, et les rumeurs ayant affecté Source Tangui, produit leader sur le marché.

·         La force du Mont Cameroun : un poids résiduel dans la pénétration du marché camerounais ?

 

·         Le rapport nostalgique à la marque

Comme Camair-co, Supermont est une marque déjà présente dans l’imaginaire du consommateur camerounais. Le rapport à la marque est donc déjà emprunt par l’expérience passée avec celle-ci. Contrairement à Camair-co dont les insight passés étaient négatifs, les insight de la marque Supermont étaient plutôt positifs.

·         Les rumeurs Tangui

Les rumeurs sur l’eau minérale Tangui ont été de deux ordres. Le commun dénominateur étant qu’elles portaient sur la qualité de ce produit. La première portait sur la présence dans différents commerces de produits source Tangui contrefaits. A cette rumeur sur la circulation de produits contrefais s’est rajouté celle sur la mauvaise qualité de ce produit. Sans qu’on ne sache d’ailleurs s’il s’agissait de la qualité des produits contrefaits, ou de ceux sortant de l’usine de SEMC.

Ces rumeurs sur la qualité on d’ailleurs conduit la marque à lancer une campagne afin de rassurer les consommateurs sur la qualité de ses produits.

La conjonction du rapport positif entre la marque et le consommateur tout comme les rumeurs sur la qualité douteuse du principal produit concurrent sont des éléments explicitant la rapide pénétration du marché par le produit. Il est difficile de mettre sur « la force du Mont Cameroun » l’installation de Supermont dans le marché des eaux minérales.

On le voit, l’invocation de valeurs patriotiques correspond à des enjeux forts divers, se matérialise par des mises en intrigues distinctes et  on peut s’interroger sur la légitimité de l’usage de ces valeurs. En effet, l’utilisation communicationnelle d’une valeur suppose qu’elle soit à la fois présente dans le discours des individus, mais également dans leur agir. En outre, il faut s’assurer de sa compréhension en extension et en intension.

Le patriotisme : un camerounisme ?

En première approximation, la notion renvoie à l’amour et l’attachement dont les individus font preuve vis-à-vis de la patrie.

La notion de patriotisme 
·         une valeur collective

 

·         Le sens de la communauté

 

·         Le renoncement individuel

 

Les Lions indomptables et l’invention du patriotisme

 

·         Des allégeances tribales à la camerounité

·         Le patriotisme : un totem incantatoire

Les  camerounais dans l’activité ; une individualisation tendancielle

 

·         « Je gagne quoi là dedans » ?

 

·         Gâteau national et Etat vache à lait

 

·         Le poids des allégeances tribales

Du bon usage des valeurs dans la communication des marques

 

·         La prise en compte du dégré d’implication du produit

·         Recourir aux valeurs effectives pratiquées dans l’action

Publié dans La publicité

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article