Leçons parcellaires sur la présidentielle du 09 octobre 2011 au Cameroun

Publié le par Pat Rifoe

La présidentielle de 2011 a livré son verdict. Comme attendu, Paul Biya le candidat président a été réélu. Cette victoire du candidat du RDPC mérite qu’on s’y attarde car elle ouvre un espace qui ne manque pas d’interroger les pratiques institutionnelles et politiques qui pourraient être celles des années à venir. Cet exercice n’est pas à proprement parler une analytique s’enracinant dans un étant. Il tient du factuel au sens ou des éléments relatifs à cette présidentielle nous permettent de nous livrer à un exercice de prospective sur les futurs contours de la vie politique de la nation. Les médias, la victoire et l’avenir du RDPC, Fru Ndi et la candidate Kah Walla constitueront la trame de notre laïus.

Quand les mérite de l’affaire « Biyong » sont ternis par l’autre affaire de « mallettes »

Nommée membre d’ELECAM par décret présidentielle, celle que les médias présentaient comme membre de la « société civile » sera dénoncée pour conflit d’intérêt patent. En effet, madame Pauline Biyong s’est trouvée adjudicatrice (vraisemblablement par une convention de gré à gré) de la campagne d’affichage du candidat président Paul Biya. L’antériorité de sa nomination à ELECAM aurait dû prévaloir sur les perspectives de gains du marché « juteux » que lui a octroyé le RDPC. Mais, voilà, au Cameroun, on vendrait père, mère et qui plus est ses convictions (quand on en a) pour se faire un peu d’argent. Madame Pauline Biyong non démissionnaire, a attendu d’être déchargée de ses fonctions pour avoir violé le serment d’impartialité qu’elle a prononcé lors de sa prise de fonction.

On peut retirer de cet épisode plusieurs enseignements. Il faut d’une part saluer le travail des médias dans un environnement répressif. Malgré les difficultés structurelles dont souffrent l’univers des médias, il faut encourager une presse libre menant un travail d’investigation et mettant sur la place publique les compromissions de ceux qui sont en charge de la chose publique. Le second élément est en rapport avec l’affaire Pauline Biyong est d’une part la dénonciation d’un fait : « le conflit d’intérêt » au simple rapport qu’il appert dans la sphère politique. Tout se passe en effet dans cette affaire comme si Pauline Biyong invente le fil à couper le beurre. Dans la réalité, les conflits d’intérêts sont légions. Quelle différence y a-t-il en effet entre ce qui est reproché à cette dame, et la vocation soudaine de cet individu qui crée de toute pièce une entreprise au motif que son père, oncle ou autre est nommé ministre, directeur général d’une entreprise publique, entreprise sans passif ne soumissionnant que dans la structure dirigée par son proche ?

Si la situation de Pauline Biyong était intenable, celle de ces nombreux camerounais en charge de la chose publique et dont la femme, le cousin, le frère deviennent les principaux fournisseurs n’est pas moins suspecte. Il faut de ce fait dénoncer comme l’ont fait les médias les conflits d’intérêts, mais ne pas limiter leur circonscription à la sphère politique (électorale).

Le dernier élément en rapport avec l’affaire Pauline Biyong est la référence au syntagme « société civile » pour qualifier les activités de certains camerounais par le seul fait qu’ils sont promoteurs d’une association. On gomme ainsi les sympathies militantes qu’en outre ces personnes peuvent avoir, et le caractère stratégique de ces ONG « dans les mallettes » dont la seule raison d’être est de drainer des fonds. ON a bien vu avec Pauline Biyong que le choix s’est fait naturellement. Elle a choisi l’affichage aux idéaux.

Il faut de ca fait définir précisément l’extension et l’intension de la notion de société civile afin d’éviter à l’avenir de considérer comme faisant partie de cette sphère des gens dont la revendication d’appartenance à la société civile est davantage une stratégie discursive dénuée de tout lien avec un positionnement moral. Il faut en sus préciser cette notion de conflit d’intérêt que la morale publique doit proscrire en l’inscrivant dans la loi de manière claire et précise. D’autre me rétorqueront ipso facto : « qui respecte la loi au Cameroun ? »

La presse, c’est hélas aussi cette affaire dite des « mallettes d’argent frais » que les officiels du gouvernement auraient remis à des patrons d’organe de presse. Bourgi ayant épargné le Cameroun, il a fallu que la présidentielle soit le lieu de l’invention de notre affaire de mallette. Elle ne grandit pas la presse qui a la faiblesse d’être maintenue dans un environnement précaire par le gouvernement par le fait d’une législation inadaptée et la difficulté de voir émerger un modèle économique permettant aux entreprises de presse de s’autonomiser financièrement. Si on peut saluer le travail des journalistes, les patrons de presse sont mis à l’index et des amalgames peuvent naître de cette situation qui saperaient le peu de crédibilité que certains organes de presse ont de la peine à maintenir.

Fouler la règle: de sport national à sport présidentiel ?

De cette présidentielle, deux faits mettent à mal le respect des institutions au Cameroun. Il s’agit de l’affichage publicitaire du candidat Biya en dehors des limites prescrites par la loi, et de la non déclaration des biens en contradiction flagrante avec les dispositions constitutionnelles. Il est significatif, que le président de la république sortant, dont le rapport aux institutions s’est discursivement construit autour de la figure revendiquée de « garant des institutions » flétrissent à ce point les règles.

Les camerounais aiment les raccourcis. Les règles, c’est très peu pour eux. Il s’agit d’une économie générale du rapport à l’institution marqué par la défiance. En se livrant à de pareilles légèreté, Paul Biya qui martèle à longueur de discours qu’il veut renforcer les institutions leur porte un coup de canif dont on ne mesure pas encore l’épaisseur. Le président de la république s’est fait le garant du non-respect des institutions, et il faut s’attendre à ce qu’une généralisation de cette tendance ne renforce la crise des institutions au Cameroun.

RDPC : gagner aujourd’hui pour perdre demain ?

Cette victoire, celle du président sortant est également celle du RDPC dont il était le porte étendard. Le parti peut se gausser d’avoir reconduit son champion. On peut tout de même se demander si une victoire attendue ne préfigure pas les défaites de demain, et à terme l’éclatement d’un parti dont le ferment idéologique était le chef.

On peut émettre l’hypothèse qu’il s’agit du dernier mandat d’un candidat qui aura 85 ans en 2018. De ce fait, au sein du parti, l’unité obtenue par la peur de la présence du chef pourrait céder la place à l’éveil d’ambitions personnelles.

Le désir de tuer le père surclasserait ainsi chez certains ambitieux la crainte d’un ‘’coup de tête’’. La perspective d’une non candidature de Biya se traduira par un affaissement de son autorité sur ses troupes. Il est donc possible que des ‘’free rider’’ tentent l’aventure de faire une OPA sur le parti, ce même sans être adoubé par Biya. Il lui sera de fait difficile d’imposer un dauphin dans un contexte ou son horizon d’action est limité par l’improbabilité de  sa représentation en 2018.

A côté de l’affaiblissement de l’autorité cheffale et de l’indisciplinarisation des troupes qui s’ensuivrait, il y a une absence d’imaginaire politique au sein d’un parti dont le seul imaginaire a été Paul biya. Le projet politique du RDPC, conçu pour maintenir coûte que vaille Biya au pouvoir ne rassemble ses membres ni sur une vision de la société camerounaise, ni sur un moyen de parvenir à réaliser cette vision. Pour parler comme Ricoeur, Biya fonctionne pour le RDPC comme une idéologie-masque dont la fonction est d’occulter la réalité. La prégnance de l’argument de la paix s’explique par l’incapacité de décliner des actions qui dérivent d’une utopie identifiée et partagée. Aucune réflexion n’existe, ni sur le rôle de l’Etat, et ce malgré les injonctions libérales de Brettons Wood, ni sur celui de la famille et les valeurs familiales, encore moins sur le rôle du secteur privé dans la création de la valeur. Cette absence d’imaginaire caractérise cette gestion au doigt mouillé marquant l’action publique dont la lisibilité ne manque pas d’interroger les observateurs. En conséquence de quoi, la probabilité d’une défaite du RDPC en 2018 est très forte. Dès lors, qui pourrait lui succéder ?

Kah Walla peut-elle gagner en 2018 ?

Kah Walla possède un atout indéniable, elle séduit les jeunes et les citadins. Cet atout constitue sa principale faiblesse. Les jeunes et les citadins se mobilisent encore moins que les autres catégories populaires dès lors qu’il s’agit de consultations électorales. Peut-elle passer le cap de la notoriété qu’elle s’est bâtie pour entrainer une adhésion de ceux qui font l’élection ? Il faudrait pour cela que la confusion affectant sa stratégie en 2011 ne soit pas reconduite en 2018. On ne chasse pas dans la savane de la même façon que dans la forêt dense. Sa stratégie consistant à maximiser sa visibilité sur la toile, alors même que ceux qui votent et font l’élection ne sont présents ni sur Twitter, encore moins sur Facebook doit être repensée. The place to be, c’est à Kekem et Tcholliré. Entretenir sa visibilité c’est bien, gagner en notoriété  également, mais quand on fait un score proche de celui de Jean Njeunga alors qu’on semble porteur d’un projet pour la nation, il faut sans nulle doute réviser sa stratégie.

Fru Ndi ; présidé sur le tard comme Wade ?

Le second de cette élection présidentielle comme celles de 1997 et 2004 reste le chairman du SDF. Peut-il rebondir ? Est-il condamné par son acte manqué de 1992 ? On pourrait penser que Biya l’a eu à l’usure. Mais, on peut également penser que le chairman usé en s’usant envisage qu’avec l’effacement de Biya, son heure soit enfin arrivée. Ce d’autant qu’en 2018, face à l’hypothèse de la dislocation du RDPC, le chairman pourrait si la constitution n’est pas modifiée remporter une élection à un tour à la majorité simple. Il serait alors comme Wade de ceux opposants historiques qui accèdent au pouvoir sur le tard.

Les différents scénarii brossés ici à grands traits sont purement subjectifs. Ils  tiennent davantage de mon imagination que d’une analyse serrée qui projetterait sur l’avenir les résultats de cette présidentielle. Sans justifier ce parti pris, nous pensons avec Castoriadis que le « social-historique » s’origine dans l’imagination. Nous avons délibérément omis l’hypothèse d’un départ anticipé du pouvoir, ce qui pourrait moyennant un énième toilettage de la constitution porter un autre rdpéciste que Biya au pouvoir avant 2018 ;

 

 

 

 

 

 

Publié dans opinions

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