Lettre ouverte ? à Pa’a Paul, président de la république sur tes institutions d’exception et ton tribunal spécial

Publié le par Pat Rifoe

Cher Pa’a Paul, pardonne moi de te faire parvenir cette lettre ouverte ? En réalité, j’aurai préféré pouvoir, comme tes très spéciaux conseillers te faire parvenir le genre de lettre dont personne d’autre que toi ne prendrait connaissance. Mais, il est clair que n’étant pas agrégé de sciences politiques et ne sachant pas jouer au songho, cette hypothèse risque de ne jamais s’offrir à moi. Je suis donc dans l’obligation de te faire le genre de lettre que tout le monde lit dans l’enveloppe.

Permets-moi de te tutoyer. C’est vrai, tu es notre « Père de la Nation », mais tu es aussi mon tonton. Je vais donc parler au tonton de ce que fait le chef de l’Etat.

Voilà deux paragraphes et tu ne sais toujours pas de quoi je souhaite te parler. Je ne vais pas aller droit au but comme le supporter de l’OM que je suis. Permets que je te félicite pour ta brillante réélection. Ce score digne des Etats totalitaires honore notre naissante démocratie. Tu as promis les « grandes réalisations » pour le septennat qui commence. Je crois que cette promesse n’est pas étrangère au choix massif qui s’est porté sur ta personne. Je me demande cependant, si tu vas enfin confronter tes discours au réel. Vu que ce n’est pas loin d’être ton dernier mandat, je me suis figuré qu’enfin, ce serait pour nous l’état au concret. Tu impulserais quelques changements dans tes modes de faire. A la lumière de ta première mesure symbolique, on mesure que tu es resté droit dans tes bottes. On ne change pas une gouvernance qui gagne !

La première mesure significative de ton mandat est de créer un tribunal spécial pour juger des faits qualifiables de corruption. Cela est louable. Tu montres ainsi ta détermination à lutter contre ce fléau qui « gangrène », le verbe est de toi, notre Nation. J’avais pensé que ce nouveau septennat serait celui de la rupture. Ta mesure s’inscrit cruellement dans la lignée de ton mode de gouvernement. Ceux qui pensaient que, préparant ta « sortie », tu impulserais des évolutions dans les modes de faire ne vont pas tarder à déchanter.

Les grandes réalisations que tu as promis, il faut y croire, comme en leurs temps, on ajouta foi à la « rigueur et la moralisation », « aux grandes ambitions ». Avec toi, on comprend mieux le sens de la maxime : Quand dire ce n’est pas faire. Tu n’as pas simplement appliqué la maxime de Berrendonner. Tu l’as systématisée. Avec toi, dire, c’est prédire l’action antéposée. La rigueur et la moralisation s’étaient vite muées en amoralité et laissez-faire. Les grandes ambitions ont très tôt révélé leur caractère fantasmagorique. Faut-il en inférer que les grandes réalisations sont la promesse de gigantesques déréalisations ? Si tu choisis de détricoter ce que tu as apporté, tu n’auras, il est vrai, pas beaucoup de travail. Mais de grâce arrête d’administrer le pays au moyen d’institutions d’exceptions.

Avec toi, tout ce qui appelle une solution, implique un régime d’exception. Quand il a fallu mettre à disposition des enseignants du supérieur, des primes de recherche, ça a été la mise en place d’un compte spécial. Quand les étudiants ont dû recevoir des bourses, tu as institué des bourses spéciales. L’Etat a-t-il eu besoin de recruter, un recrutement spécial a été orchestré. Aujourd’hui, pour montrer que tu prends à cœur la lutte contre la corruption, tu prévoies d’instituer un tribunal spécial.

Que signifie donc « spécial » dans un univers institutionnel autant hétérogène ? Est-ce le fait que ces institutions soient présentées comme impulsées par toi ? Si c’est le cas, il va être difficile de trouver ce qui n’est pas spécial dans ce pays. La moindre circulaire préfectorale, étant « sur très haute instruction du chef de l’Etat ».

Doit-on considérer que ces institutions ne sont pas appelées à perdurer ? Si on peut le comprendre pour le récent recrutement, vu le nombre de place immédiatement proposées. Il serait difficile de croire que tu décideras un jour de supprimer purement et simplement la prime de recherche des enseignants et la bourse des étudiants.

Est-ce à dire que les situations auxquelles elles s’appliquent, appellent des solutions conjoncturelles ? Peut-on raisonnablement penser que des bourses aux étudiants, les primes de recherche ne soient pas permanentes ? Je ne le pense pas pour ma part. Mais, bon, tes éclairés conseillers peuvent te convaincre du contraire.

Je n’ai pas pensé à tout, mais ce qui me semble crédible est de regarder ailleurs pour comprendre le régime d’exception dans lequel consiste ton gouvernement de l’ordinaire.

Les régimes d’exception impliquant la mise en place d’institutions spéciales se justifient (ceci n’est pas exhaustif) dans deux contextes. Dans des situations comportant un potentiel d’ouverture sur une crise grave, menaçant les institutions, l’Etat d’exception peut être institué. Les pouvoirs législatif et judiciaire sont de fait concentrés dans les mains d’un individu. Ce type de conjoncture est la porte ouverte à toute sorte de totalitarisme dont sont sortis quelque uns des pires dictateurs qu’aient connu l’humanité. Un autre contexte, est celui de la sortie de crise. Dans celui-ci, il faut liquider le passif générer par la crise. Les tribunaux spéciaux sont un type d’institution d’exception, fondés dans cette conjoncture.

A la lumière de ce détour, je me demande, si le Cameroun a connu une révolte des étudiants, une insurrection des chômeurs ou un maquis des enseignants. Tonton, cette propension à gouverner l’ordinaire par l’exception fait de toi, soit un Napoléonet du vingt et unième siècle, soit du Cameroun un pays sinistré par diverses catastrophes.

Catastrophe de la recherche, du chômage, des étudiants, et dernière en date, et non des moindre, catastrophe économique. Je me garderai bien de te poser la question de savoir, si catastrophe, il y a eu, qui, tenait les rênes du pouvoir. Ce n’est pas là, l’objet de ma lettre. Je m’écarte du sujet.

Tiens, pour ce qui est des tribunaux, pour en revenir à ce qui motive ma lettre, il a existé un tribunal spécial pour le Rwanda. Il faut dire que le génocide comme situation exceptionnelle, appelait une justice sortant de l’ordinaire. Si je m’arrête à cet exemple, et si je m’applique à transposer le cas rwandais à notre situation, je dirais, que tu sembles considérer que la corruption est une sorte de génocide économique.

Si tel est le cas, je comprends parfaitement ta volonté de soustraire ces faits à la justice ordinaire. Ces individus, nombreux, et continuant à ruiner notre économie doivent comme tu le dis si bien « rendre gorge ». Dans une telle perspective, il faudrait leur concevoir un code de procédure pénale spécifique, un code pénal spécial, avec une criminalisation autre des crimes dont ceux-là se rendraient coupables. Iras-tu jusque là ? Je ne le sais, tes conseillers et toi avez le don de faire les choses à moitié, quand ce n’est pas simplement l’antéposé qui est posé. Mais, seule cette hypothèse peut rendre intelligible ton projet.

Tu as donc décidé de frapper fort. Je le comprends fort bien. La plupart de tes « éperviables » ont au jour d’aujourd’hui un pied dehors. Cela n’est pas bon pour ton pedigree, encore moins pour la succession que tu n’as pas organisé. Les dossiers ont été mal ficelés, les enquêtes bâclées. Et, pour l’oseille, personne, n’est voit la couleur. Autant le dire, tu crains qu’ils ne fassent des émules.

Face à ces déconvenues, tu as décidé de frapper fort. A défaut d’obtenir des condamnations exemplaires, il faut récupérer l’oseille. Soit, pourquoi pas ? Après tout, ce sont des génocidaires ; des interhamwés de l’économie camerounaise. Et il faudrait qu’ils s’en tirent à si bon compte ?

Même si je ne comprends pas ta gouvernance d’exception de l’ordinaire de la société, j’ai une requête à faire. Quand tu mettras ton tribunal spécial sur pied. Avec d’énormes moyens humains, financiers, souviens-toi de la justice ordinaire. Celle à laquelle le citoyen ordinaire a affaire. Ton tribunal spécial pourra traiter les affaires avec diligence. Les condamnations et les acquittements se feront avec plus de célérité. Je ne cherche pas à savoir s’il sera davantage indépendant que les tribunaux ordinaires. Souviens-toi, de ces gens que notre justice, ce maquis kafkaïen broie. Non pas qu’elle le veuille, mais parce qu’il y va de son efficacité. Elle ne peut fonctionner autrement eu égard à ses moyens. Le résultat, ce sont des procédures à n’en plus finir. Quand donc, tu créeras ton tribunal spécial, avec ses moyens, ses locaux neufs, ses magistrats surpayés, souviens-toi de la justice ordinaire.

Souviens-toi de cette justice, afin de ne pas créer d’injustice. L’égalité devant la loi est un principe auquel je suis, moi, profondément attaché. J’y suis attaché au point que cette égalité doit se manifester dans l’égalité de traitement, jusque dans la lenteur des procédures. Il ne saurait y avoir des procédures plus diligentes pour les présumés coupables de corruption, que pour les justiciables ordinaires. Je te prie donc, instamment de faire en sorte que la même célérité caractérise ton tribunal spécial et les tribunaux ordinaires.

Pour en terminer, cher tonton, sache que ce pays n’est pas fait seulement d’enseignants, d’étudiants, de corrompus, et de chômeurs. Il est aussi fait de citoyens qui sont tous les jours confrontés à des institutions ordinaires. Celles-là, n’ont rien de spécial, vu qu’elles n’émanent pas de toi. Il faudra bien que tu les spécialises un jour les institutions ordinaires, à défaut de rendre ordinaire tous ces machins spéciaux que tu mets en place.

Je te laisse à ton songho, et portes toi bien.

 

Publié dans Penser le Cameroun

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