Lettre au peuple camerounais sur ses espoirs de changement par le haut

Publié le par Pat Rifoe

Cher (es) camerounais (es), nous voici rendu en 2011, année électorale. La possibilité t’es offerte de choisir celui qui pendant les 07 prochaines années te conduira. La guilde des prétendants est fournie avec pas moins de 21 candidats. Le choix sur le plan qualitatif existe.Mais, au-delà ce cette élection, se pose une question plus lancinante sur laquelle je souhaite t’interpeller. C’est celle du changement. Comment changer la société dans laquelle nous vivons ? Ce changement viendra-t-il au soir d’une élection ? Sera-ce le fait d’un individu ?

La thèse de cette interpellation pose que les élections quelque soit le vainqueur ne constituent pas un élément moteur du changement d’une société et des pratiques qui y ont cours. Aujourd’hui cher (es) compatriotes le politique a perdu de sa centralité dans l’effectuation de l’historicité des sociétés. De ce fait, le changement ne peut et doit être conçu non pas par les politiques et donc par le haut, mais par le bas à partir d’un travail d’auto institution   articulant les imaginaires aux pratiques des citoyens.

L’acentralité du politique dans le changement social

Un jeu de langage courant attribue au politique la capacité de changer la société. On parle alors de la volonté politique ou de l’absence de volonté politique pour qualifier cette situation dans laquelle les changements sont impulsés par les politiques. Elire un président, choisir des députés constituent dans ce jeu de langage des évènements en prises directe avec les grandes orientations de la société. Le chef de l’Etat y est une sorte de grand timonier fixant les caps et refaisant la société à coups de cognée.

Ce jeu de langage cher (es) compatriotes perd aujourd’hui de son potentiel explicatif et tu dois en tirer toutes les conséquences. En effet, même dans les Etats autoritaires, la marge de manœuvre du politique va s’amenuisant au point qu’il est illusoire de faire reposer sur un quelconque politique, fut-il , chef de l’Etat les espoirs légitimes de changements.

Quelques tendances au long cours suffiront à désenchanter cette chimère. La globalisation financière et l’autonomisation complète des marchés financiers est un des ces éléments.

Aujourd’hui, les peuples élisent les politiques qui rendent davantage compte aux marchés financiers qu’aux électeurs. La crise financière qui secoue l’Europe en est la parfaite illustration. En effet, il importe davantage aux Etats européens de rassurer les agences de notations évaluant leur solvabilité et les investisseurs achetant leurs obligations que de mener la politique et le programme sur lequel ils ont été élus.

Sarkosy en proie aux attaques sur la dette souveraine française a dû détricoter toute la politique fiscale de son quinquennat en fin d’exercice. Les niches fiscales qu’il avait fait votées, le bouclier fiscal qu’il avait institué ont été soit rabotées, soit purement et simplement supprimées.  

Les électeurs, ils pourront toujours courir, mais s’ils votent, ils n’achètent pas de la dette souveraine!

Cette financiarisation de l’économie qui maille aujourd’hui la marge de manœuvre d’Etats devenus des acteurs résiduels, s’est également observée en Europe avec les délocalisations. Des entreprises subventionnées et dont les bilans financiers étaient positifs choisissaient de quitter l’Occident pour l’Asie afin d’augmenter leur rentabilité. Et les gesticulations des hommes politiques ainsi que les engagements pris n’ont pas eu raison des  exigences de rentabilité accrue des actionnaires.

La question de la possibilité pour les politiques de changer leurs sociétés doit à la lumière de ces éléments être reformulée. Il ne s’agit plus de savoir si les politiques sont capables d’impulser un changement, mais plutôt de savoir s’ils ont jamais été les moteurs des transformations affectant leurs sociétés.

On peut certes donner des exemples et l’histoire en est pleine d’hommes politiques qu’une configuration historique particulière présente comme un facteur de bouleversements et d’évolutions. Cependant, être facteur signifie-t-il être le facteur explicatif ? Etre une condition nécessaire, revient-il à être  une condition suffisante ?

Ce qu’il faut critiquer aujourd’hui dans ces configurations historiques c’est une mise en intrigue occultant certains acteurs en hypostasiant à la fois la place et le rôle du politique dans ces mises en récit. Elles ont contribué à instituer et entretenir l’illusion d’une surcapacité du politique. Ce qui a eu pour corollaire d’hypertrophier les attentes vis-à-vis de ce dernier.

La révolution française, c’est certes Saint-Just, Dante, mais c’est également cette foule d’inconnus mal reconnus par les récits historiques. L’ère Meiji, c’est également un peuple qui s’investit. Alexandre le grand c’est avant toute chose le peuple grecque...

Les changements quand ils ont pris place dans la société ne furent pour ainsi dire jamais le fait d’un deus ex machina.

Cameroun : une involution tendancielle pour une responsabilité individuelle ?

J’entends chaque jour accabler celui qui aujourd’hui tient tes rênes. Il est vrai que son bilan est peu glorieux. Il a certes consolidé la paix qui ne t’était pas étrangère à son arrivée, mais, pour cet acquis ; que des scories ! Il a tenté « le libéralisme communautaire », mais n’est pas Mao qui veut. Il a connu la crise économique et comme elle a bon dos, il lui a imputé le marasme qui tu as vécu au quotidien. Il est vrai qu’il n’est pas coupable de ne l’avoir pas anticipé ! On ne lui reprochera donc pas de s’être montré incapable de tracé la voie pour en sortir. Il eut fallu pour cela qu’il fut Edgar Morin, ce qui n’est pas une sinécure. L’inertie est devenu la pratique par excellence de l’action publique. Les régimes d’exception sont devenus les dispositifs d’action publique ordinaire.

Les étudiants ont-ils besoin d’une bourse ? Les enseignants du supérieur réclament-ils une prime de recherche ? Faut-il refaire le Parcours Vita ? Faut-il proroger le délai de délivrance de la CNI gratuite ? Le ministre de la communication donne-t-il une conférence ? Tout ce qui se réalise, l’est sur « très haute instruction du chef de l’Etat ». L’inertie c’est pour les autres, le mouvement pour lui. Mais passons, là n’est pas l’objet de ma lettre. ..

Ta régression n’est pas linéaire, mais certaine. Tu as inventé la décroissance avant qu’économistes et sociologues occidentaux s’en emparent. Quand on tardait à rendre opératoire le développement, tu as ouvert la voie au développement du sous-développement. Depuis les années 1970, le seul indicateur qui connait une évolution positive est ta population. Cela même mérite d’être nuancé car l’espérance de vie a stagné quand elle n’a pas reculé. Tu as remporté quelque fois le titre pas très glorieux de nation la plus corrompue.

Tu as institué par le biais de la politique de l’équilibre régional un accès « équitable » à ces écoles, à toutes tes filles et  fils. Nous sommes toujours en attente du premier pygmée administrateur civil, inspecteur des impôts ou des douanes, ou même officier dans ton armée ! Grâce à cette politique de ‘’justice sociale’’, on recale certains avec 14/20  pour en retenir d’autres à 6/20. C’est vrai, ils n’avaient qu’à ne pas être originaire du Centre ou de l’Ouest.

Dans tes administrations  et tes entreprises, la compétitivité est un jargon inconnu. Elles poussent le bouchon jusqu’à faire faillite en situation de monopole ou de quasi monopole et ce, nonobstant les subventions de l’Etat.

Le bilan n’est pas reluisant, mais faut-il en rendre responsable un individu fut-il chef de l’Etat ? Faut-il s’exonérer de toute responsabilité dans les échecs qui sont survenus ?

La grande part de responsabilité du chef du chef ne constitue pas un blanc-seing pour les autres. Et ce serait proprement démagogique d’occulter la dimension collective et individuelle des maux qui gangrènent la société.

Changer le Cameroun : une partition collective et par le bas !

Lorsque tu es devenu champion du monde de la corruption, ce, à plusieurs reprises, ce n’était pas, ce me semble, une récompense individuelle mais collective. Pour emprunter au vocabulaire sportif. La corruption est un sport qui se pratique à plusieurs ( deux au moins). En cela, elle se rapproche du foot et diffère du tennis. Quand on gagne un match, une compétition cela est le fait d’efforts collectifs dont le mérite ni revient ni au coach, ni au meilleur joueur, mais à la partition collective qui est délivrée. Tu as de ce fait pris exemple sur les lions indomptables de 1984, 1988, 1990, 2000, 2002 et 2003.  Tu n’as jamais attribué le mérite de ces victoires à un joueur en particulier, ou à l’encadrement technique. Et pourtant, lorsqu’il s’agit de ton quotidien, tu te poses en victime comme ces Lions Indomptables de 2006, 2008 et 2010 pour lesquels l’échec avait un fondement individuel, vouant Womé, Etoo ou l’encadrement technique aux gémonies.

Toutes les pratiques qui sont aujourd’hui condamnables et répréhensibles obéissent à ce modèle.

Ton guide actuel n’est ni magistrat, ni taximen, ni policier, ni enseignant, ni inspecteur des impôts, ni bendskinneurs… Est-il coupable ou responsable des actes et des pratiques que tu cultives dans ta quotidienneté ? Il aurait le dos large que ce serait possible. Tu es seul responsable de tes actes et pratiques. Et le « on va faire comment » ne t’exonère en rien de cette responsabilité.

Tiens ! lorsque tu es taximen, roulant avec un dossier de véhicule incomplet,  surchargeant le véhicule au mépris de la réglementation, disant en ton for intérieur que tu ‘’négocieras’’ au prochain contrôle de police ou de gendarmerie.  Est-ce un nouveau président qui y mettra fin ? Ou attends-tu de changer tes manières de faire après les élections ?

Quand tu es policier, lors des contrôles routiers, tu préfères recevoir la ‘’bière’’ en lieu et place  des contraventions à signer. Pour enregistrer une plainte ou descendre faire une interpellation, ta ‘’barbe doit être mouillée’’, sinon tu freines des quatre fers pour accomplir ton devoir. Penses-tu que les élections mettront fin à cette pratique ?

Contribuable, tu préfères soudoyer les fonctionnaires des impôts afin de délester l’Etat des recettes qu’il doit percevoir sur tes activités qui sont pourtant prospères. Tu veux le changement, du moment qu’il ne te touche pas, cela va de soi!

Inspecteur des impôts, tu sèvres l’Etat de ses recettes légitimes en favorisant la distraction d’impôts qui lui sont dus, soit à ton profit, soit au profit de tiers.

Magistrat, pour rendre la justice et dire le droit, il faut ‘’motiver ta décision’’. Les enveloppes sont devenues des éléments de jurisprudence dans lesquels tu n’hésites pas à puiser pour rendre justice.

Enseignant, les notes sont sexuellement transmissibles.

Elève ou étudiant, ton leitmotiv c’est : «  tout le monde a un prix ». Vu comme ça, tous les professeurs font nécessairement commerce des notes qui sont attribuées à l’occasion de leurs évaluations.

Médecin, tu es un rabatteur qui ne reçoit dans les hôpitaux public que pour donner rendez-vous dans les officines privées. Ceux qui ne le peuvent pas n’ont qu’à prier le ciel pour leur santé.

Ministre, tu privilégies les passations de marché de gré à gré. Et quand bien même un appel d’offre est ouvert, l’adjudicataire doit déposer une mallette pleine de CFA au secrétariat particulier pour emporter le marché.

Tu n’oublies jamais d’accorder indûment des faveurs à tes amis, connaissance et frères, qui passent avant tous les autres camerounais. Ils n’avaient qu’à être de ton village ! Le Cameroun se résume-t-il à ton village ? Tes amis sont-ils plus citoyens que les autres ?

Tu veux aujourd’hui le changement. Cela est légitime et normal de ta part. Cependant la question est de savoir ce qui doit changer. Est-ce la tête de gondole qui doit changer ? Faut-il changer de président sans refaire la société ? « On ne change pas une société par décret » disait Crozier. Ce qui aujourd’hui doit changer ce sont tes pratiques, tes modes de faire. Et pour ça, point n’est besoin d’avoir un messie. Car chacun pour autant qu’il est, à la place qui est la sienne doit être son propre messie. Il n’y aura ni aujourd’hui, ni demain de deus ex machina pour toi.

Si tu veux le changement, commence par te changer toi-même !

Merci.

 

Publié dans Penser le Cameroun

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