Le citoyen et le ''système''

Publié le par Pat Rifoe

 

 

Il est courant d'entendre le citoyen camerounais utiliser les termes de «système»,de «régime» pour qualifier une entité aux contours indéfinis. Dans quelles circonstances utilisent-ils ces vocables interchangeables dans leur pratique de la langue?Quel régime relationnel s'instaure entre ce système et le citoyen qui l'évoque ainsi? On essaiera d'éclairer les univers référentiels auxquels renvoient ces notions,tout en mettant ces usages en perspective avec la pratique quotidienne du citoyen en action.

Bruce tout puissant

DansBruce tout puissant,un individu se voit attribuer un pouvoir quasi divin. Cette délégation des pouvoirs divins est corrélative des responsabilités de gestion de l'humanité. Le héros oscille alors entre la satisfaction de ses propres désirs(ceux de sa femme en l'occurrence ) et l'acquiescement de toutes les demandes ce qui entraine un chaos indescriptible. Lorsque le citoyen camerounais invoque le système,parle du régime,il s'agit d'une entité toute puissante et dotée de pouvoirs quasi divin. Il s'agit d'une abstraction dont l'évocation trahit l'éloignement. Le régime,on ne le voit pas. Le régime est cet être démiurgique qui peut faire ou ne pas faire.

Le régime ou le système est de fait responsable. Il est responsable des situations. Pointe-t-on des maux et des dérives,l'attribution causale est orientée vers le régime. Si nous ne faisons pas,si nous faisons mal,nous sommes surdéterminés par le régime,nous sommes tout au plus des victimes du système. La corruption se généralise-t-elle? Le responsable est tout trouvé.

L'invocation du régime traduit également une dissociation entre le sujet parlant et l'entité ainsi mise en évidence. Corrélative des caractères abstrait et distant du régimes,la dissociation marque une volonté de s'exclure d'un entité dont l'invocation est corrélative d'une causalité négative. Le régime est très souvent invoqué dans des situations de dénonciation. Parler du régime,c'est par le fait même exprimer qu'on n'en fait pas partie. Deux cas de figures sont alors possibles. Le citoyen se sent exclu et souhaiterait en faire partie,ou alors,il veut qu'il cède la place à un autre ''système''. Qui en fait alors partie?Dans une acception large,le régime c'est tous les autres à l'exclusion du citoyen qui parle. De manière plus restrictive,le système renverra aux personnes investies d'autorités publiques,mais dans ce cas,il s'agira des ministres et autres personnalités de premiers.

Cette utilisation des termes régime et système par le citoyen ne manque pas de susciter des interrogations. A-t-on affaire au régime comme à une sorte de Bruce tout-puissant qui aurait seul la responsabilité de ce qui arrive,ce que nous faisons ou ne faisons pas?Sommes-nous hors du système comme nous aimons à le sous-entendre?Nous allons montrer que la notion de système telle qu'invoquée par le citoyen est un vecteur d'opacité qui vise à occulter la responsabilité du sujet parlant. Le système sert de caution à la nécessité de s'exonérer de situations perçues socialement,individuellement ou moralement comme condamnables.

L'acteur et le système

Ouvrage aujourd'hui classique de la sociologie de l'action organisée,l'acteur et le système met au centre de l'analyse de l'action au sein d'un système générateur de contraintes un acteur a rationalité limitée. Dans un système d'action concret mobilise ses ressources parmi lesquelles les zones d'incertitude pour à la fois élargir le champ de ses possibles. La notion d'acteur renvoie ici à la rationalité qui est le propre de chaque individu,mais également à la marge de liberté propre à chaque système d'action concret. L'acteur,qu'il soit individuel ou collectif dispose d'une marge de manœuvre dans ses rapports aux autres acteurs. Le pouvoir ne réside de fait dans aucun foyer immanent,mais est relationnel. L'existence de contraintes par le fait d'un système n'en font pas un foyer de pouvoir. Le pouvoir est le propre des situations interactionnelles. A ce point,un parallèle est tentant entre la conception du pouvoir chez Foucault et celle développée à la même époque par Michel Foucault. Préférant à la notion de système celle de dispositif,il montre à travers la microphysique du pouvoir comment les corps sont investis par le pouvoir qui produit des sujets qui dans leurs actions en reconduisent les effets. Les normes dans leur dialectique contraignante et productive s'inscrivent dans les corps.

Elles sont productives;productives des sujets et à ce titre la constitution du sujet et par la même sa reconnaissance passe par une normalisation subjectivante. D'autre part l'agir lui même est soumis à la normalisation. Elle sont contraignantes car elles instaurent un régime de l'interdit et un régime du possible.

Ce rapide survol de deux pensées permet de souligner quelques points saillants. Il n'est point d'extériorité du sujet ou de l'acteur. Le régime de responsabilité chez Crozier et Friedberg impute de manière exclusive aux acteurs la responsabilité de l'action,le pouvoir n'étant pas immanent,mais inscrit dans les interactions. Chez Foucault, la normalisation traduit la forme de pouvoir contemporaine qui investit les corps et s'exprime à travers leurs pratiques. De fait,les éthnométhodologues concilient au sein de l'interaction la dimension stratégique de l'acteur qui mobilise des ressources et les contraintes normatives attachées à l'action en posant que les normes sont des ressources mobilisables pour l'action. De ce fait elles ne s'imposent pas aux acteurs qui dans leur rapport à la norme font preuve comme le dirait De Certeau d'inventivité,de braconnage et de détournement.

Le double mouvement de conformation normative et de répulsion principielle du ''régime''

Une mise en perspective s'impose. Il s'agit de resituer cette formule langagière dans l'écosystème des pratiques auxquelles elle s'articule.

Lorsque je suis taximen,il arrive que je surcharge mon véhicule.Il m'arrive également de rouler sans que le dossier du véhicule soit à jour. Dans ces situations là,je préfèrerai négocié avec un flic qui me prendra 500 francs. Le flic lui accepte cette situation qui lui permet de récupérer pour son bénéfice personnel une part infime du montant de la contravention qu'aurait dû payer le taximen. Un autre cas de figure existe qui me met en situation régulière. Dans ce cas,je paye alors au motif que le policier va me perdre du temps. Comme je veux en ''gagner'',il vaut mieux ''finir avec lui'' et continuer ma journée. Dans le même temps,on peut penser que le policier compte justement sur le fait que je ne veux pas perdre de temps pour me voir lui donner ''quelque chose''.

Ce qu'on voit apparaître au travers de ce cas à double tiroir c'est la constitution d'une norme. Celle des rapports entre policiers et taximen. Aucune entité abstraite ne surdétermine cette interaction telle qu'elle se pratique au quotidien. Il s'agit d'un système d'action concret,et de normes de fonctionnement dont chacun cultive dans ses pratiques quotidiennes la perpétuation et les effets. Si on m'interroge sur cette pratique,j'aurai beau de jeu de dire:''c'est le système qui veut ça''.J'occulte ainsi la dimension opportuniste de mon action. Je veux ''gagner du temps''.N'ayant pas mon dossier en règle,je payerai plus cher si on me colle une contravention, cette pièce de 500 fcfa que je glisse discrètement au flic,elle me permet de faire une économie sur ce que je verserai à l'État.

Il y a dans ce cas typique toute la dimension normative de l'action(c'est un usage de mouiller la barbe au flic dans ces situations là. En ce sens,on va dire;c'est normal). Cette dimension normative n'occulte en aucune façon la mobilisation de la norme qui est faite dans cette situation par moi. En effet,je sacrifie d'autant plus à la norme que la mise en conformité de mon attitude m'est bénéfique. Je suis bien un acteur qui mobilise la norme.J'évite tout conflit avec les flics,si j'ai mon dossier complet,je peux très bien refuser de ''gagner du temps'' en l'achetant chez les flics. Que je le veuille ou non,la norme se perpétue à travers moi et par moi.

Autre cas de figure. Je fais la queue dans un service public et il se trouve que celui qui reçoit me reconnaît. Il me fait sortir du rang et soit au su de tout le monde,soit à leur insu,me sert pendant que les autres arrivés avant moi continuent à attendre dans la file. Je suis tout content d'avoir été reconnu par un tiers,ce qui m'a permis de passer avant les autres. Ils vont râler s'ils voient ça,mais bon,eux aussi n'auraient pas décliné l'opportunité si elle s'était présentée. Ces râleurs qui sont mécontents,après tout,demain dans un autre service,ils seront également reconnus,passeront avant moi si je suis dans la file. Qu'expriment alors leurs mécontentement?Ce mécontentement n'est pas une condamnation du principe même qui me permet de passer indûment avant eux. Ce qui est stigmatisé,c'est le fait que le profit de cette situation ne soit pas leur. Le principe du passe droit pour ce qu'il est n'est pas condamné. La preuve,c'est que demain;ils feront de même,tout en trouvant cela parfaitement ''normal''.Ce qu'on voit apparaître ici,c'est le double mouvement d'adhésion profonde au système dans la mobilisation des normes qu'il secrète,et la dénonciation du caractère non personnel des profits générés par la mobilisation des normes. L'accord tacite porte sur la normalité. Nous trouvons tous qu'il soit normal de profiter des relations et de situations pour notre propre profit. Si d'autres en profitent et pas nous,alors,nous sommes indignés. Mais cette indignation est un appel. Un appel à être également dans un futur plus ou moins proche à tirer profit de ce qui est ''normal''.Le parangon de ce mode de faire est donné par le rapport du camerounais aux détournements. Il n'y a pas jusqu'à une secrète administration qui perce sous des propos indignés. Mais dans le fond,tous ceux qui condamnent pour autant qu'ils le fassent les détournements présumés commis par les Abah Abah et autres s'inscrivent dans cette veine. Personne n'est vraiment contre le principe du détournement. Ce qui suscite l'indignation,c'est le fait que la possibilité de détourner ne soit pas partagée par le plus grand nombre.

Quels changements après le ''régime Biya''?

Que Biya soit réélu,il sera difficile d'envisager une hypothèse autre. Les faits accréditent la thèse d'un crépuscule davantage que celle d'une aurore. Il partira quelque soit la durée de ce crépuscule. Mais au delà du caractère symbolique de ce départ,les fondements normatifs de la société s'en trouveront-ils renouvelés?

Question ouverte!

Publié dans Penser le Cameroun

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F
<br /> <br /> Joli tableau de notre environnement socio politique. Meme si une sociologie du présent me fait dire que je suis pas totalement d'accord avec les faits tels que présentés.<br /> <br /> <br /> "Lorsque le citoyen invoque le systéme, il parle d'une entité toute puissante et dotée de pouvoirs quasi divins" ç'est sans doute vrai il y'a quelques années. Car , des éleves qui sequestrent<br /> proviseur et enseingant parceque un eleve a éte bastonné, des Benskineurs qui font la loi au point de paralyser la circulation 4heures durant à un jet de pierre d'un commissariat jusqu'a obtenir<br /> justice, l'ACDIC qui dans son combat pour les paysans a obtenu la "tete" des responsables du MINAGRI, les leaders politiques qui malgré toute interdiction formelle de manisfestaion publique se<br /> mobilisent quand meme... Ces faits récurents ne sont pas pour moi anodins. Tu sais aussi bien que moi l'Occurence d'un fait n'est pas anodin en science sociale. Ceci pourrait traduire la<br /> demystifacation du "systéme" par les populations qui serait de moins en moins un etre inataquable.<br /> <br /> <br /> FOUCAULT dit tu, prefères parler de Dispositifs en lieu et place de systéme. Hors un dispostif précise t'il dans l'archeologie du savoir; se met d'abord en palce pour remplir une fonction<br /> stratégique dominante. Souvent pour répondre à une urgence à l'intentionalité et aux visions qui ont présidé sa mise en place. J'ai envie de dire que de ce point de vue, le citoyen et le systéme<br /> tout comme la politique et l'economie chez nous entretiennent des rapports incestueux.<br /> <br /> <br /> Par contre, les fondements normatifs de la societé s'en trouveront renouvelés aprés Biya ? Non car l'Afrique a besoin d'un programme d'ajustement structurel comme le disait ETOUNGA MANGUELE. Un<br /> Ré armement moral , qui peremettra de de se Ré approprier son destin, pour que les "fondements normatifs" soient renouvelés.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Précision liminaire.Foucault affirme effectuivement que tout dispositif obéit à une intentionnalité située qui permet de saisir son ou ses objectifs.Cette précision n'est pas faite dans<br /> l'archéologie du savoir,mais dans un entretien accordé à la revue lacanienne Ornicar et on peut en trouver trace dans les dits et écrits.<br /> <br /> <br /> Pour ce qui est de tes remarques,je ne vois pas en quoi ''ta sociologie du présent'' contredit mon analyse.Elle la conforte davantage.Tu t'es arrêtée à Foucault,or je le convoque peut être pour<br /> faire un parallèle entre dispositif et système,mais davantage pour montrer que les normes sont la dimensions fondamentales de tout dispositf.De là à penser que les sujets sont totalement<br /> contraints,il y a un pas que je ne franchis pas en convoquant l'ethnométhodologie qui me permet de montrer que les normes sont des ressources mobilisables pour l'action.Tu te reféreras utilement<br /> à Nicolas Dodier dans un article qui commence à dater:"les appuis conventionnels de l'action''.Autrement dit,le double rapport des individus à la norme dans leurs pratiques et au ''régime'' dans<br /> leur impératif de justification montre des sujets attachés au ''système'' de manière paradoxale.Le système est une formule qui correspond mal au rapport d'intériorité unissant le citoyen à ce<br /> système.Dire c'est le système c'est s'abstraire de toute responsabilité.Ce n'est pas condamner le système.<br /> <br /> <br /> Tous les exemples que tu invoques prouvent à suffisance qu'on ne condamne le système que lorsque nous estimons que ce qui arrive ne nous profite pas.Lequel des étudiants qui monnaye les<br /> notes,même lorsque c'est suggéré par un enseignant a dénoncé cette situation pour ne prendre que cet exemple là?<br /> <br /> <br /> <br />